La réorganisation des services institutionnels et communautaires et les besoins des personnes en situation d’itinérance pour faire face à la pandémie de COVID-19

La réorganisation des services institutionnels et communautaires et les besoins des personnes en situation d’itinérance pour faire face à la pandémie de COVID-19

« Les premières semaines ont été catastrophiques. Les gens n’avaient plus d’argent, plus de place où dormir, plus accès à des toilettes, plus accès à de la nourriture, tous les centres de jour ont fermé. On les a vraiment catapultés dans l’espace public avec pas grand-chose. Les gens avaient faim, avaient froid et avaient peur. [Cette situation] va avoir créé un trauma qu’on va voir perdurer. » (Informateur.trice-clé)

Le profilage racial dans les interceptions routières au Québec

Déc 6, 2023 | Publications, Publications de l'ODP

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En décembre 2023 est publié le rapport Le profilage racial dans les interceptions routières au Québec, issu du projet Profilage racial dans les interceptions routières.

Ce projet de recherche a été initié en 2020 à la demande d’organismes communautaires actifs dans la défense des droits des personnes noires et racisées et de Mike Siméon, avocat de Joseph- Christopher Luamba, dans le cadre de la contestation de la constitutionnalité de l’article 636 du Code de la sécurité routière du Québec2 (ci-après « CSR »). L’article 636 CSR permet à la police d’effectuer des interceptions routières sans motif réel. Les résultats préliminaires ont été présentés par Marie-Eve Sylvestre dans un rapport d’expertise déposé à la Cour supérieure du Québec en 2022.

Le présent rapport brosse d’abord un portrait de la littérature sur le profilage racial, son contexte et ses conséquences sur les personnes racisées et marginalisées dans les espaces publics et routiers au Québec et au Canada. Ensuite, une présentation du cadre juridique des interceptions routières sans motif réel est réalisé, avant d’en arriver à la recherche et ses résultats.

Méthodologie

Entre août 2021 et juillet 2022, l’équipe de recherche a mené une série d’entretiens individuels et de groupe auprès de 25 personnes noires et arabes de divers horizons qui avaient fait l’objet d’interceptions routières alors qu’ils et elles se trouvaient au volant d’un véhicule. L’analyse des entretiens a permis de brosser un portrait du contexte et des motifs entourant ces interceptions, des conséquences pour les personnes rencontrées, ainsi que des stratégies de résistance et d’adaptation qu’elles ont mises en œuvre.

Contexte et motifs des interceptions

  • Les personnes noires et arabes rencontrées ont vécu des interceptions fréquentes et répétées, allant jusqu’à plusieurs fois par semaine ou par mois. Ces interceptions se révélaient dans les faits basées sur des prétextes ou des excuses, voire des ruses ou des inventions, révélateurs de profilage racial (ne pas porter de ceintures de sécurité, conduire un véhicule avec des vitres teintées, ou avoir une plaque d’immatriculation trop enneigée ou munie d’un cadre de plastique, par ailleurs fourni par le concessionnaire, avoir une conduite jugée suspicieuse, conduire une voiture louée, absence de correspondance constatée entre le conducteur (typiquement masculin) et le propriétaire du véhicule (typiquement féminin), ou la ressemblance avec une personne recherchée).
  • Un grand nombre d’interceptions étaient liées à des préjugés concernant l’apparence physique de la personne conductrice (avoir l’air d’un « gangster », porter un capuchon, avoir un afro ou des « dreads » ou avoir un habillement associé au hip-hop), sur leur présence dans des quartiers résidentiels cossus, ainsi que sur le fait qu’ils conduisaient des voitures luxueuses ou de « bandit ». Des questions intrusives ou déplacées ont parfois été posées, transformant de simples interceptions en enquêtes généralisées.
  • Pour plusieurs personnes, ces interceptions de routine ont dégénéré en agressions verbales ou physiques. Certaines personnes font état d’interactions irrespectueuses et humiliantes et rapportent avoir été insultées alors qu’elles contestaient les motifs de leurs interceptions.

Conséquences pour les personnes interceptées

  • Les personnes rencontrées ont rapporté des conséquences très importantes sur leur santé physique et mentale: problèmes de concentration, des maux de tête, de l’insomnie, des pertes d’appétit, des excès de colère, de la peur, l’anxiété incontrôlable, démotivation profonde, dépression, envie d’abandonner l’école ou le travail. Plusieurs sont d’ailleurs restés marqués et traumatisés, ressentant peur, anxiété, panique ou colère à proximité de la police.
  • Les interceptions vécues ont entraîné des répercussions au sein de leurs familles. Dans certains cas, leurs proches se sont mis à craindre constamment pour leur sécurité, s’inquiétant par exemple du moindre retard après une sortie, alors que d’autres ont vécu des tensions avec leurs proches qui les culpabilisaient ou ne les croyaient pas.
  • Pour plusieurs, c’est le sentiment d’humiliation, de stigmatisation et de se sentir traité comme un criminel qui domine, autant au regard de la police que des témoins de l’interception. Les interceptions ont parfois engendré des retards au travail, l’annulation d’engagement portant atteinte à leur réputation ou entraînant d’autres conséquences professionnelles. Pour plusieurs, l’accumulation de constats à créé un important fardeau financier; l’un des participants traîne ses constats dans ce qu’il surnomme son « sac à problème ».
  • Pour l’ensemble des personnes rencontrées, ces interceptions ont affecté leur confiance envers les institutions publiques, dont la police et le système de justice. Plusieurs sentent que leurs droits ne sont pas respectés, qu’elles sont traitées différemment en raison de leurs origines ou de la couleur de leur peau et qu’il « y a une justice pour les Noirs, une justice pour les Blancs ». Nombre d’entre elles ont développé des sentiments de vigilance et de méfiance, au point de ne plus vouloir faire appel à la police lorsqu’elles ont elles-mêmes besoin de protection. Finalement, plusieurs se sentent exclus de la société québécoise ou comme des citoyennes et citoyens de « seconde zone ».

Stratégies de résistance et d’adaptation

  • Les personnes rencontrées ont développé des stratégies d’adaptation et de résistance face aux interceptions: changement de comportements ou d’attitude sur la route ou face à la police (hypervigilance), évitement de certains quartiers, changement d’itinéraire, ne pas conduire la nuit, modification de l’apparence physique pour « moins paraître Noir. » Lors d’interactions avec la police, plusieurs personnes contrôlent leurs mouvements, montrent leurs mains en tout temps, bougent le moins possible, verbalisent à l’avance leurs mouvements, utilisent le plus possible l’accent québécois.
  • Quelques personnes se sont renseignées sur leurs droits, allant jusqu’à apprendre les articles de loi applicables par cœur pour les citer à la police lors des interceptions. Nombre d’entre elles filment avec leurs cellulaires ou ont installé des caméras qui fonctionnent en permanence dans leurs voitures ou dans leur maison, ainsi que des caméras cachées. Plusieurs ont dénoncé les interceptions arbitraires vécues dans les médias, ou sur les réseaux sociaux, d’autres ont décidé de s’impliquer dans des organismes de défense de droits afin de mobiliser la communauté.
  • Plusieurs personnes rencontrées craignent pour l’avenir et leurs enfants. Elles ont des conversations difficiles connues au sein des communautés noires comme « the talk » et leur enseignent comment se comporter lors d’interceptions par la police.
  • La majorité des participantes et participants ont décidé d’exercer des recours judiciaires (contestation des constats, plainte en déontologie policière ou à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, poursuite civile devant les tribunaux).

Recommandations à l’issue du rapport

  1. Que les autorités politiques et policières imposent un moratoire sur toute interception routière sans motif réel.
  2. Que l’article 636 CSR soit modifié afin de mettre fin aux interceptions routières sans motif réel et de limiter la discrétion policière. Il est essentiel que les décisions prises en vertu de tout pouvoir d’interception soient justifiées sur la base de motifs raisonnables de soupçonner qu’une infraction a été commise.
  3. Qu’en consultation avec les populations concernées, les services de police municipaux et la Sureté du Québec recueillent des données sur l’origine ethnoraciale des personnes interceptées sur les routes dans l’ensemble du Québec et que ces données soient analysées de façon indépendante et rendues accessibles et publiques annuellement.
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