La réorganisation des services institutionnels et communautaires et les besoins des personnes en situation d’itinérance pour faire face à la pandémie de COVID-19

La réorganisation des services institutionnels et communautaires et les besoins des personnes en situation d’itinérance pour faire face à la pandémie de COVID-19

« Les premières semaines ont été catastrophiques. Les gens n’avaient plus d’argent, plus de place où dormir, plus accès à des toilettes, plus accès à de la nourriture, tous les centres de jour ont fermé. On les a vraiment catapultés dans l’espace public avec pas grand-chose. Les gens avaient faim, avaient froid et avaient peur. [Cette situation] va avoir créé un trauma qu’on va voir perdurer. » (Informateur.trice-clé)

Judiciarisation de l’itinérance à Québec: des constats de plus en plus alarmants

Jan 18, 2024 | Publications, Publications de l'ODP

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Consultez le communiqué de presse publié par la Clinique Droit de Cité

Le présent rapport analyse des données judiciaires obtenues de la Cour municipale de Québec qui compilent les constats d’infractions émis en vertu de règlements municipaux (RM) et du Code de la sécurité routière (CRS) aux personnes déclarant l’adresse d’un organisme en itinérance comme adresse postale.

Une première étude menée en 2011 (Bernier et al., 2011) avait permis de brosser un premier portrait de l’itinérance à Québec et des réponses policières et judiciaires mises de l’avant par des analyses statistiques des constats d’infractions remis entre 2000 et 2010 et par une analyse du point de vue des acteurs sociojudiciaires rencontrés.

Dans un contexte d’aggravation du phénomène de l’itinérance démontré par les estimations du nombre de personnes en situation d’itinérance visible dans la région de la Capitale-Nationale (Latimer et Bordeleau, 2019; Gouvernement du Québec 2023; Ville de Québec, 2023) et de préoccupations grandissantes des intervenantes et intervenants du milieu quant au renforcement de la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance en dépit des politiques et plans d’actions gouvernementaux, nous avons entrepris cette nouvelle étude pour les constats émis entre le 1er janvier 2013 et le 30 juin 2022.

L’ampleur et l’évolution de la judiciarisation de l’itinérance à Québec de 2000 à 2022

  • Au moins 16 368 constats d’infraction ont été émis à des personnes déclarant l’adresse d’un organisme en itinérance dans la Ville de Québec entre 2000 et 2022, et avec l’exception des années 2011 et 2012 pour lesquelles nous ne disposons pas de données.
  • 77 % de ces constats d’infraction (12 663) ont été émis entre le 1er janvier 2013 et le 30 juin 2022.
  • 22 fois plus de constats d’infraction ont été émis en 2021 qu’en 2000, passant de 71 constats en 2000 à 1 577 en 2021.
  • En 2020, les personnes en situation d’itinérance formaient au minimum 20 % des personnes ayant reçu un constat d’infraction en vertu des règlements municipaux dans la Ville de Québec et en 2021, 15,4 %, ce qui constitue une surreprésentation alarmante.

La répartition géographique des constats émis entre 2013 et 2022

  • 92,7 % des constats d’infraction (11 235) ont été remis dans l’arrondissement de La Cité-Limoilou. Une augmentation marquée des constats d’infraction a également été observée dans cet arrondissement, passant de 639 constats d’infraction en 2013 à 2 028 constats d’infraction en 2020.
  • Le quartier Saint-Roch (5 463) et le quartier Vieux-Québec–Cap-Blanc–Colline Parlementaire (3 092) sont ceux où le plus de constats d’infraction ont été remis.
  • L’arrondissement de Beauport a connu la plus forte augmentation des constats d’infraction durant la période à l’étude, passant de 9 constats d’infraction en 2013 à 58 constats d’infraction émis en 2021, soit près de sept fois plus.

Les motifs de judiciarisation

  • La consommation et la présence dans l’espace public justifient 72,9 % des constats d’infractions remis.
  • Étonnamment, 266 constats d’infraction ont été émis pour possession d’équipement de consommation. Il est surprenant que cette infraction existe dans les réglementations municipales, considérant l’orientation des politiques gouvernementales en matière de réduction des méfaits et les efforts portés par la santé publique pour rendre accessible du matériel de consommation sécuritaire.

Les caractéristiques des personnes judiciarisées

  • 10 070 constats (79,7 %) ont été émis à des hommes, 1 487 (11,8 %) ont été remis à des femmes et pour 1 076 constats (8,5 %), le genre était inconnu.
  • Les femmes en situation d’itinérance ont reçu davantage de constats pour les motifs de troubler la paix, du désordre ou du bruit, pour injurier, insulter ou menacer ainsi que pour refuser d’obtempérer ou entraver. Cela montre que les infractions sont davantage liées à leur présence dans l’espace public et les enjeux relationnels qu’elles peuvent vivre avec les forces policières que des comportements liés à la consommation.
  • La population itinérante judiciarisée à Québec a considérablement vieilli. Le nombre de constats émis aux personnes de moins de 20 ans a diminué de 70,8 % et aux personnes de 20 à 24 ans, de 58,1 % par rapport à la première étude. A contrario, le nombre de constats émis aux personnes de 30 à 39 ans a augmenté de 806,6 %, à celles de 40 à 49 ans, de 623,6 % et à celles de plus de 50 ans, de 650,7 %.

Conséquences pour les personnes judiciarisées et le système judiciaire

  • Peu de dossiers font l’objet de mesures alternatives, soit de suivi dans le programme IMPAC, relativement à l’ampleur de la judiciarisation, soit 3,4 % des constats analysés (435 dossiers).
  • De 2013 à 2022, les personnes en situation d’itinérance ont une dette cumulative de 3 344 492 $ envers la Cour municipale de Québec.

La question de la judiciarisation de l’itinérance et du profilage social qui en découle ne semble pas être une préoccupation majeure des différents acteurs municipaux concernés. Malgré la mise en œuvre de mesures de rechanges, ces dernières ne semblent pas avoir eu l’ampleur escomptée. On constate ainsi une recrudescence de l’émission de constats d’infraction, qui semble témoigner de la judiciarisation de la « dérangeosité » des personnes en situation d’itinérance, soit leur présence dans l’espace public et leur consommation d’alcool, sans que d’autres réponses et solutions soient offertes.

Revue Médiatique

Porter, I. (2024, 17 janvier). Des itinérants de Québec mis à l’amende pour possession de seringues. Le Devoir.

Allard, M. (2024, 18 janvier). Escalade «alarmante» des contraventions envers les sans-abri à Québec. Le Soleil.

Morrissette-Beaulieu, F. (2024, 18 janvier). Une judiciarisation « alarmante » de l’itinérance à Québec, préviennent des expertes. Radio-Canada, ICI Québec.

Bouchard, C. (2024, 18 janvier). Itinérance : une augmentation fulgurante de la judiciarisation à Québec. Journal de Québec.

Allard, M. (2024, 18 janvier). Marchand veut s’attaquer aux amendes remises aux itinérants. Le Soleil.

Première heure (2024, 18 janvier). Une judiciarisation de l’itinérance à Québec qui inquiète. Ohdio. Radio-Canada. (9 min.)

Isabelle Richer (2024, 18 janvier). Encore trop de judiciarisation de l’itinérance. Radio-Canada Info. (5 min 16).

Le Téléjournal (2024, 18 janvier) Forte hausse des contraventions remises à des personnes itinérantes. Ici Québec. (2. min.)

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